Sitôt arrivée sur place et les valises déposées, direction la gare maritime pour récupérer mon sésame, mon accréditation, mon badge. Sans lui, rien n’est possible ici.
Aucun problème technique rencontré sur la billetterie cette année (un régal !) je me rends donc à la Licorne (lieu de projection du festival, situé en marge du Palais et de la croisette, bien sympathique par ailleurs) pour y visionner mon premier film de cette édition.
L’inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier. Présenté à Un Certain Regard.
1982. François Mitterrand lance un concours d’architecture anonyme sans précédent pour la construction d’un édifice emblématique dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe. A la surprise générale, c’est un architecte danois de 53 ans, inconnu en France, qui l’emporte. Du jour au lendemain, Johan Otto von Spreckelsen est propulsé à la tête du plus grand chantier de l’époque.
Et s’il entend bâtir sa Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.

Je suis contente de renouer avec le cinéma de Stéphane Demoustier que j’ai découvert avec La fille au bracelet, film de procès qui m’avait beaucoup plu. Cela dit, j’étais un peu passée à côté de son Borgo.
Je ne savais rien de ce que je venais voir ici et découvrir ce choix d’acteurs, à commencer par Xavier Dolan : excellent dans le rôle du conseiller du président fut un plaisir. De même que la découverte du sujet du film dont j’ignorais tout. A moi l’escapade jusqu’à la Défense (quartier que je zappe tant que faire se peut) pour voir d’un nouvel oeil et sous un nouveau jour ce cube, cette arche.
Ce film, très bien ficelé, me laisse le gout charmant du vintage très bien amené. Dans cet écrin parfaitement maitrisé, ce sont les rêves d’une vie, d’un homme, que l’on voit s’envoler peu à peu. La chute est puissante tant le réal ne fait pas dans le faux semblant et vient nous dire haut et fort et de façon implacable que la politique n’aide pas nos vies, qu’elle ne vise en rien à la simplifier ou à l’embellir… Elle vient au contraire se frotter à nos idéaux, pour les heurter et finalement, les briser.
Le capitalisme, la privatisation sont des fléaux nous dit-il contre lesquels viennent mourir les belles idées des plus honnêtes et sincères personnes. Ici un artiste dans sa plus pure manufacture. Un architecte vivant reclus, loin des mondanités et des paillettes. L’acteur danois découvert dans la palme d’Or The Square est entré dans ce rôle comme on semble entrer en religion avec un sérieux et un don d’incarnation très forts. C’est un grand oui pour ce film au sujet somme toute daté mais fortement ancré dans notre réalité sociale et politique actuelle. Terriblement français mais porteur d’un message universel. La puissance du cinéma capable de transcender les frontières du temps, les frontières physiques.

La petite dernière de Hafsia Herzi. Présenté en compétion officielle.
Fatima, 17 ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante.
Bonne élève, elle intègre une fac de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ?
Ma palme ! Hafsia a son meilleur. Une actrice née qui sublime à son tour celles et ceux qu’elle filme. Ce film est d’une délicatesse folle. Dans la réalité d’un/e autre metteur en scène, cette petite dernière aurait subi moult désagréments. Rien de tout cela ici. L’environnement est aimant. Ca éloigne les propos dérivatifs nuisibles et faciles. Point de grand frère violent ou de voisin commère. Hafsia ne cherche jamais le sensationnel et on la remercie d’exister et de faire du cinéma, pour cela. Et pour plein d’autres raisons encore. Elle pose son regard sur les gens et sur les situations de façon implacable mais tellement humaine et douce, qu’elle sublime tout. Ca ne se travaille pas ça, ça ne s’apprend pas. Elle est, et elle donne. C’est d’un naturel et d’une puissance sans nom. Implacable.
En voilà du cinéma politique, sans être du cinéma politique. Hafsia maitrise totalement son propos. Elle donne vie à ce personnage qu’on n’avait encore jamais vu au cinéma, pour l’implanter dans la réalité de sa génération, au sein même de sa société. On affronte les réalités sociales oui, mais aussi religieuses de son environnement – qui se trouve être le notre – La France de 2025 avec ce qu’elle offre de meilleur pour ce gain de visibilité donné à des minorités, et de plus navrant dans les idées courtes et fermées de certains.
Mais ce qui est véritablement montré ici c’est le chemin de cette jeune femme qui trace sa route, comme nous sommes tous amenés à leur faire. Avec son bagage familial, son bagage culturel, social… La voir avancer avec cette confiance, cette ténacité est une des plus belles choses que j’ai pu voir lors de cette édition cannoises, et depuis longtemps au cinéma.
Et ca méritait forcément un prix d’interprétation féminine.
Mais alors comment tracer son chemin, son chemin propre, sans rien renier de son héritage ?
Fatima est véritablement un personnage de cinéma qui ouvre des portes. En laquelle des tas de jeunes femmes peuvent et pourront s’identifier. Et c’est important. Et ce, dans une douceur réelle qui fait du bien à notre réel.
Hafsia a bien compris que le monde est assez dur comme ça, pour donner encore plus de dureté. Elle choisit la douceur (et non pas la légèreté pour autant) et on la remercie pour ça également.