Festivals de Cinéma

Cannes 70 : 4ème

Posted by Barbara GOVAERTS

J4, jour de Palme. J’ai vu 120 battements par minute. Du sublime. Je l’ai vu à 8h30, il est 17h59 (je vous écris depuis une énième file d’attente), je ne suis toujours pas sortie du film. J’en suis sortie physiquement bien sûr, comme les quelque 2000 autres personnes – les yeux bien rougis, et en silence. Drôle d’impression. De la force de l’expérience commune des salles de cinéma (cf mon article hier ou j’évoque la polémique Okja / Netflix et l’importance pour moi que représente la découverte d’un nouveau film en salles).

120 battements par minutes donc. Je l’attendais de pieds fermes pour avoir un souvenir fort et marquant du précédent opus du réal : Eastern Boys. A l’époque je ne venais pas à Cannes et me souviens avoir été happée par l’affiche de ce film et de la force avec laquelle j’avais appréhendé ce film. Un réal fétiche entrait alors dans ma « filmothèque rêvée ».

120 battements(…) évoque « les années ActUp », cette association crée en 1989 (et plus tôt à NYC) à l’heure où le SIDA faisait rage et à l’heure où l’on découvrait cette maladie autour de laquelle toutes les rumeurs ont circulé. A cette heure précoce, ceux que l’on pourrait appeler « des minorités » (même si j’exècre ce terme) comprenez, les homos, les toxicos, les prostitué(e)s, les prisonniers, les étrangers (on ne parlait alors pas encore de « migrants »). ActUP est né d’une urgence. Celle de donner une voix aux malades, de rassembler aussi – surtout.
Ce film montre cela et s’ouvre d’ailleurs sur une des RH (réunions hebdo de l’asso) au sein desquelles les débats battaient leur plein, au sein desquelles des voix se faisaient entendre et des décisions étaient prises pour attirer l’attention des labo pharma, trop lents à réagir face au désastre.

Là où j’ai retrouvé la touche de Robin Campillo (le réal) c’est dans la façon qu’il a, subtile, de regarder les gens. Les hommes surtout. Son regard semble comprendre la détresse mêlée à la détermination de ceux qui sont en souffrance. C’est fin et terriblement humain (j’ai appris lors de la conf de presse du film qu’il avait lui même été militant ActUp, d’où cette connaissance et maitrise du sujet, NDLR).

Mais plus qu’un film documentaire, c’est un film d’amour. Un film d’amour pour et sur une génération sacrifiée, laissée pour compte et pourtant terrifiée à l’idée de se savoir mourante, et seule.

Car 120 battements(…) n’est pas un film documentaire sur ActUp, c’est en réalité un film sur le SIDA, certes, sur les ravages de ce virus certes mais surtout un film qui montre un tournant de civilisation, comme un long lendemain de cuite qui avait pourtant débuté par une bien belle soirée festive (les 80/90’s VS les 70’s « glorieuses). Et Robin Campillo film cela merveilleusement bien.

Il y a une vraie synergie au sein de la « troupe » d’acteurs, quelque chose de l’ordre de l’intime passe. Je crois beaucoup à l’idée selon laquelle le coeur mis à l’ouvrage ressort de chacune de nos réalisations (quelles qu’elles soient). Le pellicule est ici enveloppée de passion, de respect et d’un oeil neuf et beau porté sur des amoureux malmenés, des amoureux de la vie et des gens, rien de moins.

En cela et même s’il est supposé se faire l’écho des années 90 en France, ce film évoque en réalité notre société telle que nous la connaissons actuellement. Il nous redit l’importance du groupe, la valeur ajoutée de rester debout, de faire entendre sa voix et de ne jamais se résigner.
Et en cela, il en est d’autant plus important. Il donne le pouls d’une génération, de notre société. 

D’un point de vue purement cinématographique, ce film propose de belles idées de mise en scène qui viennent porter le propos et des scènes de danse belles à en pleurer. Robin Campillo sait filmer les gens, ça oui. Le film de Téchiné sur le SIDA, Les témoins, avait déjà été un choc car il parvenait à filmer la maladie sans faux semblant. Et c’était fort. Ici, ce cri d’amour à une génération désenchantée est encore plus probant.

Il y aura un avant et un après 120 battements par minutes dans ma vie de cinéphile. C’est certain. Et dans ma vie aussi. Et je la chérie, cette vie.

Je relisais récemment une interview de Thierry Frémaux (sélectionneur des films présentés et Directeur du Festival) qui répondait à la question « le festival de Cannes est-il politique ? ». Il disait que, non, que ce sont les films qui sont porteurs des messages du monde, des tensions et autres questionnements propres à nos sociétés. En clair, un réalisateur quel qu’il soit doit sans doute chercher à dire quelque chose du monde qui l’entoure, au sein duquel il évolue. Sinon pourquoi faire des films ?
120 battements par minute est de ceux là. Et il résonne.
Palmesque donc. Pedro devrait aimer (Almodovar, le président du Jury).

Le film sera en salles le 23 août prochain. J’en serai.

Revue de tweets

Trois couleurs 

Le Figaro

Chaos Reign

Unicorn beauty

La suite de ma journée fut plus terne (pauvres films, il n’est point évident de passer après un tel film, aussi puissant). Je vous écris ces lignes dimanche aprem et garde encore un sentiment très fort de 120 BPM que j’ai d’ailleurs fortement envie de revoir.
J’ai vu à Un Certain Regard : Las Hijas de Abril, le nouveau film de Michel Franco (en compétition l’an dernier). Que vous en dire ? Voici un mauvais Almodovar ! Soit une mère abusive qui redébarque dans la vie de sa fille, mineure et enceinte et un bébé source de toutes les convoitises et des vengeances. J’ai trouvé le film désagréable et franchement peu intéressant. Le rôle du jeune homme (le père du bébé) est de surcroît le pire rôle masculin que j’ai eu à voir depuis des lustres ! D’une inutilité crasse, sans aucun charisme. Que ce film m’a gonflé !

J’ai fini cette journée ciné avec le film de Carine Tardieu Otez moi d’un doute starring la solaire Cécile de France, François Damiens et Guy Marchant et le très touchant André Wilms. Une sympathique comédie sur les liens familiaux vu sous le spectre des parents et de celui des enfants. Charmant et frais, doté d’acteurs doués et de cette touche d’humour qui ajoute de la malice au tout. Oui c’est franchement joli et vivant. Mais fade face à ce que avec quoi j’avais débuté ma journée.
Vite, la suite !

 

 

 

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4 thoughts on “Cannes 70 : 4ème

  1. Sylviane

    Barbara comment entre les files d’attente et les projections trouves -tu encore le temps de rédiger de si longs et intéressants articles? 4ème jour et déjà combien d’heures de sommeil en moins? quand la passion nous fait tenir debout !!!!!!! bon festival, et un peu de baignades ou bronzage ?

  2. Barbara GOVAERTS

    Merci Sylviane pour ce commentaire bien agréable à lire. Le bronzage est en cours et les baignades et le sommeil réparateur pour bientôt : le cinéma en premier !

  3. Sylviane

    Tu restes jusqu’au dernier jour? Pont de l »Ascension et lundi travail? Bons films !

  4. Paule

    Oui j’aime toujours autant tes critiques sur les films que tu as vus mais apprécie encore plus tes coups de cœur… et remarque que le tien bat bien. Oui vive la vie et le cinéma.

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