AMHA (A Mon Humble Avis)

Nope

Posted by Barbara GOVAERTS

Il y a tant à dire sur Nope, troisième film signé du réalisateur Jordan Peele qui, il y a désormais quelques années, m’avait scotchée avec son Get out ultra maitrisé, qui résonne encore aujourd’hui (et revu plusieurs fois depuis).

Il faut dire que Jordan Peele a débarqué derrière la caméra avec fracas mais avec une profonde délicatesse par ailleurs, pour marquer de son empreinte le renouveau du cinéma américain. Et nous sommes d’accord, je pense, pour dire que ce renouveau est bienvenu. A l’heure où la machine Hollywood n’en finit plus de dérailler (et nous propose des films aseptisés répondant à un cahier des charges bien défini, d’une banalité confondante), il est de bon augure de pouvoir compter sur un réal engagé et prometteur tel que Jordan Peele. Un réal qui trace son chemin, hors des sentiers battus.

Il nous livre avec ce Nope – titre intriguant s’il le faut – une véritable métaphore de la société du spectacle : cette grosse machine qui aspire ceux qui la regardent avec envie et délectation.

En ce sens, le réal – habitué à nous donner à voir un cinéma engagé – poursuit sa route pour dire les dérives d’une société où l’image a pris le pouvoir sans pour autant être toujours analysée, comprise, digérée. De là, se créé un danger véritable : celui de consommer bêtement l’information sans chercher à savoir ce qui se passe hors champs, sans en comprendre le contexte (hello Instagram et autres plateformes sociales) : ce qui est montré est forcément associé à « la » réalité, aucun questionnement possible, l’image dit vrai, il faut la gober.

Or, le danger est réel. Car l’image peut également faire mal, des dégâts. On pense alors potentiellement aux journaux télévisés et autres canaux de diffusion de l’information, qui nous mettent face à des images parfois sanglantes, source de stress et de peur face auxquelles tout un chacun n’a pas les codes et la possibilité de prendre le recul nécessaire. Le sensibilité n’est pas la même pour tous. Ces images qui font le tour du monde, qui émeuvent ou répugnent et sont partagées par tous. Si cette possibilité de filmer / montrer la réalité de certaines actions (je ne peux m’empêcher de penser à diverses bavures policières qui seraient alors restées dans l’ombre) est un acte militant positif, il convient également de se questionner sur la trace laissée par ces images.

NOPE réal. : Jordan Peele. int. : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun, Michael Wincott. pays : États-Unis. dist. : Universal Pictures International France Sortie en salles le 10 août 2022

Jordan Peele dit cela en utilisant – comme à son habitude – les codes de l’horreur, et parvient à créer une véritable atmosphère.

Il est tout à la fois à l’écriture et à la réalisation et l’on sent la maitrise totale de son film. La force de son propos est intacte et je vois le bonheur qu’il a de jouer avec les codes d’un cinéma de genre qu’il affectionne tout particulièrement, auquel il mêle le plus grand classicisme du cinéma américain, ici le western. En ce sens, le réal parvient à faire usage de son héritage cinématographique et culturel tout entier et c’est en cela qu’il est en mesure de nous livrer un cinéma riche, complet, vrai et puissant. En résonance avec les réalité de notre monde. On le sent libre de déployer toute sa palette.

Il choisit ici de collaborer à nouveau avec Daniel Kaluuya, déjà dans Get Out qui use de son flegme naturel pour incarner ce jeune homme prêt à affronter le monstre aérien qui rôde au dessus de sa maison et qui a pris la vie de son père. Jordan Peele lui accole une soeur dynamique au possible lorsque lui est d’un calme olympien en toute occasion, pour que ces deux là forment le binôme le plus épatant de cette fin d’été. A eux deux, ils feront leur possible pour en venir à bout de cette bête assoiffée qui rôde au dessus de leurs têtes, en mêlant leurs forces respectives.

Le plaisir est également fort de retrouver Steven Yeun, découvert dans Burning, un grand film qui compte pour beaucoup dans ma filmographie et dit justement – hasard peut-être – l’importance du hors champs, du « hors cadre ». J’aime que sa présence dans le film rappelle ce message autour du rôle de l’image et de l’imaginaire (cette fameuse scène de l’épluchage de l’orange).

Ne nous éloignons pas plus de Nope qui dit alors avec force et panache ce que nous avons à gagner de nous éloigner des écrans, de ne pas céder aux sirènes de cette société de l’info, de l’image et du spectacle qui nous incombe de toujours regarder droit dans les yeux ce qu’on nous donne à voir.

Si l’image est un formidable vecteur d’information et de partage, elle est aussi un medium qui joue grandement sur notre rapport à l’émotion et à l’émotivité et c’est là que le réal place son curseur. Méfions nous de cette injonction à « zieuter », il nous faut également nous rappeler que pour toute image regardée, il y a le besoin majeur d’analyser.

Et puisque l’on parle d’image, somme toute l’élément de base du cinéma, Jordan Peele me laisse – une fois n’est pas coutume, avec certains plans d’une intelligence incroyable, en tête. Clairement du cinéma fait avec maestria.

Fin et très intelligent.

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