Ce film c’est déjà une actrice. De celles qui donnent tout à leur art. Elle est dans le moment, à chaque instant elle est cette femme emputée de son enfant.
Et il faut pouvoir la jouer, sans aucun doute, cette douleur. Oui je fais le choix de commencer ici : ce que livre Vicky Krieps m’a semblé d’un autre niveau. Son engagement au niveau du jeu se joue aussi et surtout sur sa gestuelle, ce corps qu’elle semble utiliser à merveille. La façon qu’elle a de se présenter à nous sous les traits de ce personnage : Clémence m’a beaucoup plu. En fait on y croit tout de suite. Elle est l’incarnation de ce que nous pourrions appeler « la femme libre », celle qui a fait des choix, qui se refuse à une quelconque étiquette : elle est femme, mère, écrivain, ex avocate, épouse, amante, amie, nageuse… Des étiquettes donc, mais sa personnalité toute entière se développe par ce qu’elle parvient à capter de toutes ces identités, de toutes ces activités, de tous ces pans de sa personnalité. En cela elle n’est pas une « simple » représentation. Elle est elle même dans toute sa singularité et dans toute sa densité et y parvient grâce au mélance de créé par ces différentes facettes.
Il se passe quelque chose qui est tout à la fois de l’ordre de l’émotion et donc qui vient du mindset, de la psyché ; mais aussi quelque chose de totalement physique, incarné, implanté chez cette actrice. Et elle m’a embarquée.
La puissance d’incarnation avec laquelle est endosse ce rôle m’a touchée à un endroit que je ne saurais définir. N’étant moi même par concernée par la situation qu’elle rencontre, mais le niveau d’empathie que j’ai ressenti à son égard m’étonne encore au moment où j’écris ces lignes. Je me suis sentie concernée et partie intégrante de cette histoire. De ces grands rôles qui marquent.
Ensuite ce film, c’est une thématique. Difficilement descriptible tant elle prend sa source dans une noirceur totale. En fait, ce qu’une jalousie mal gérée, ce qu’un oedipe mal passé, ce qu’un mal être non pris en considération peuvent engendrer. En somme les frustrations d’un homme qui se sent le droit de jeter en patûre une femme, qu’il a aimée de surcroit et avec qui il a eu un enfant.
En fait, dans ce film, la femme est accusée d’emblée. L’homme / le mari manœuvre avec fiel pour enlever la garde de l’enfant à son ex. Celle ci a eu le malheur de lui avouer qu’elle « était passée aux filles ». Elle vivrait donc une mauvaise vie. Ajoutez à cela qu’elle a décidé de rendre sa robe d’avocate pour écrire des romans un peu autobiographiques crus et qu’elle change souvent d’appartement pour des raisons finanières. A la fin du premier tiers du film, l’affaire est réglée : elle est coupable de vouloir vivre sa vie et, ce serait forcément au détriment de son fils.
Love me tender dit la bataille d’une femme à pouvoir vivre comme elle l’entend. Cette phrase peut sembler totalement banale mais force est de constater qu’à Paris, en 2025, certaines attentes sont encore de mise. Une femme doit suivre et respecter certains règles au risque d’être jugée.
Si le film va parfois trop loin dans les longueurs, j’en comprends la raison. Elles sont pour beaucoup d’entre elles des bouffées d’oxygènes, pour nous spectateurs atterés par une situation qui ne fait que chanceler. Elles sont aussi la façon de dire et montrer à quel point toute la vie autour se brise et à quel point il est complexe de retrouver le contact, l’échange, le lien… Son ex l’a éloignée non seulement de son rôle de mère mais aussi de son rôle de femme, en tant que personne j’entends.
Sa vie est en suspens. J’aime que la réal aille sur ce terrain et dise à quel point cette femme à qui on reproche d’être trop libre, entendez : à qui on reproche de se sentir femme en même temps qu’elle se sent mère, vacille alors qu’on lui ôte son rôle de mère…Belle illustration du fait que l’un ne va pas sans l’autre… Le fait qu’elle veuille vivre sa vie de femme ne signifie nullement qu’elle en est moins mère pour autant. Bien au contraire.
Reste Monia Chokri dans le rôle de l’amante, ex femme ou amoureuse. Y a t-il actuellement sur nos écrans un film dans lequel Monia Chokri n’endosse pas ce rôle ? Elle est charmante et j’aime sa froideur qui se mèle à une vraie générosité de jeu. Je la perçois comme tel. Mais je vais jusqu’à dire que je ne suis pas trop sensible aux scènes dans lesquelles elle apparait qui s’apparentent pour moi aux quelques longueurs que j’évoquais plus haut. Je comprends tout à fait cela dit la difficile place qu’elle occupe dans l’équation.
Car oui, c’est bel et bien Clémence : forte, résistante, douce et…. clémente en tout temps face à la dureté de l’épeuve qu’elle traverse. Elle incarne pour moi la véritable mère courage, qui va même peut-être jusqu’à se remettre en question pour devenir une meilleure mère encore… dans l’absence. Elle qui « l’a forgé solide son enfant » comme le dit si délicatement le psy chargé de rendre un avis après des mois de suivi.
Ce film est bel et bien le film d’une mère qui fait le deuil de son enfant et c’est bouleversant.
