Quelque chose de tout à fait étrange s’est produit. A moins que ce ne soit quelque chose de tout à fait banal.
Si l’adaptation de l’étranger de Camus par François Ozon m’a semblée tout à fait bonne, elle ne m’a pour autant pas emportée.
Pas autant que le livre le fait à chaque lecture. Cet incipit déjà, qui me prend pour m’emporter vers des réflexions de tout horizon.
N’allez pas croire que je me fasse passer pour celle que je ne suis pas : à savoir, une lectrice patentée qui lit et relit les grands classiques de la littérature ou de l’actualité littéraire… Je suis une piètre lectrice (mais tend à m’améliorer). Mais ce roman figure parmi ceux qui me nourissent le plus et j’y trouve des questionnements majeurs. Il est emprunt de cette simplicité qui donne à voir l’immensité.
Mais mon medium à moi c’est le cinéma. L’image, le son, la mise en scène…
Comprenez alors ma surprise à avoir eu un plaisir immense à relire l’étranger avant sa sortie en salle et à n’avoir presque rien ressenti devant le film d’Ozon.
Ce n’est pas si étrange que ça et somme toute plutôt banal en somme. On sait tous qu’il est très difficile d’adapter un roman au cinéma et que la plupart du temps, la déception est réelle. Preuve s’il en faut de la puissance immense de notre cerveau qui, à la lecture de ces suites de mots, fabrique des images qui viennent appuyer des personnalités, des couleurs, des sensations…
La lecture est un art divinatoire ! Mais là n’est pas tant la question. Sur BFSC on parle des films qui sont à l’affiche. Soit, attelons nous à cela.
Je peux alors vous dire que le choix de Benjamin Voisin est tout à fait bien vu. Il impose son flegme, sa façon de n’être jamais vraiment là. Son regard est puissant mais tout à fait distant et lointain en même temps. Il est l’étranger du roman de Camus. Il est Meursault : ce jeune homme qui se présente comme étant indiférent à tout ce qui l’entoure et qui sera jugé « pour n’avoir pas versé de larmes à l’enterrement de sa propre mère ». Je ne m’étendrais pas ici sur l’analyse du roman et de ce personnage qui annonça le travail de l’auteur autour des notions du nihilisme, de l’absurde, qui firent l’oeuvre d’Albert Camus. Je cherche moi même des explications !
Je peux également vous dire que j’aime qu’Ozon ait donné leur place à des personnages féminins plus en retrait dans le roman… Djamila, Marie Cardona… Qu’il ait fait de Marie cet être solaire et jamais abimée par le manque de réciprocité de l’amour de Meursault. Elle incarne à la fois l’abnégation et la confiance en un avenir plus doux et lavé des erreurs de son amour.
Le choix du noir et blanc est également intéressant. Il fallait oser ! Le roman étant lui même gorgé de ce soleil fiévreux et éclatant, les robes de Marie nous éblouissant presque de ces couleurs vives (j’ai souvenir de rayures rouges, de fleurs…) et puis sa peau marron, dorée par le soleil qu’on devine ici avec ce noir et blanc huileux.
Et puis le mutisme de Meursault, qui ne prononcera que quelques phrases durant les deux heures de film. Point de vue intéressant, là aussi, pour donner vie à son charisme aphasique. Il est toujours là, de presque tous les plans, mais presque jamais vraiment là. Là à sa façon mais sans mot, sans effusion aucune.
Enfin, j’aime que le réalisateur n’ai pas abusé de la voix off pour donner vie à son adaptation. Si cette dernière est (très / trop) linéaire (elle suit parfaitement le chemin du roman), le fait que seuls deux grands passages du roman soient dictés (la scène où il tue « J’ai secoué la sueur et le soleil (…) » et puis la scène finale « Je n’avais plus qu’à espérer qu’ils m’aclament avec des cris de haine » est un choix judicieux. Point trop n’en faut pour faire émerger la sève de cette oeuvre majeure.
Me reste pour conclure cet étonnement de voir Ozon adapter de façon aussi classique et théorique ce roman, lui plutôt adepte des oeuvres originales et des scénarios originaux. Il n’y ici aucune prise de hauteur à mon sens (non pas qu’il en faille une forcément) si ce n’est oui, cette construction par l’image d’un homme désabusé.
Mais pour cela, le roman est amplement suffisant tant il est simple mais tellement dense, majeur et qu’il permet de puiser à chaque lecture, des éléments nouveaux. De la force des oeuvres majeures. Elles se suffisent à elles mêmes car elles vivent à jamais et en continu. Elles résonnent avec le passé, le présent et le futur.
Je m’étonne ainsi de le penser, et plus encore de l’écrire, mais je me passerais aisément de la mise en images réelles de cette version de Meursault, ou de toute autre d’ailleurs, et de ce soleil éclatant. Ils brûle encore plus fort dans ma tête que sur un écran.
