AMHA (A Mon Humble Avis)

Left-handed girl

Posted by Barbara GOVAERTS

Ce film déjà, c’est en tout premier lieu un plaisir visuel. Du marché de nuit, aux néons qui distillent leurs faiseaux de couleurs, en passant par la grâce des acteurs/actrices eux mêmes : tout est un bonheur pour les yeux. Et un fourmillement d’énergies toutes diverses qui vont de l’introversion à l’extraversion. Sans demi-mesure. Ici, on est soi mutique, soit « crieur » de vérités trop longtemps cachées. On ne fait pas dans la demi-mesure.

Et quel plaisir j’ai eu à suivre les aventures (car des rebondissements il y en a !) de cette famille monoparentale pas privée d’amour mais somme toute désunie.

Shu-Fen élève seule ses deux filles. Une jeune femme d’une petite vingtaine d’années, en révolte, et une petite dernière de 6 ans dont les moments de rebellion gentille constrastent presque avec la grâce de son visage.

J’avoue avoir jugé Shu-Fen  dans la première moitié du film tant elle semble dépourvue d’amour pour ses filles. Sa seule urgence, et pas des moindres, est de les faire manger. Son commerce de bouche au coeur du marché de nuit de Taipei ne fonctionne pas comme elle le voudrait… Les temps sont durs et son seul objectif est de réussir à joindre les deux bouts. A payer le loyer et à nourrir ses filles.

Alors le jugement, facile, qui fut le mien au début s’est vite effacé. Si elle ne semble ni joviale ni empathique, c’est qu’elle a des priorité et les pieds sur terre : on ne vit pas d’amour et d’eau fraiche. Et c’est finalement tout à son honneur.

Le film dit et montre cette fracture sociale et économique qui touche le pays et plonge de nombreux foyers au coeur d’activités plus ou moins légales… On vend ses bijoux, on « rend des services pour quelques billets »… La débrouille est de mise.

Et puis, parmi ce monde d’adulte qui n’est pas tout rose, il y a cette petite I-Jing : coquette et à l’affut. De tout. Elle est toujours pleiement présente et comprend comme elle peut, ce qu’elle entend alentour, du haut de sa petite enfance.

I-Jing est gauchère et son grand-père, de l’ancien temps donc, n’a de cesse de lui répéter qu’elle utilise « sa main du diable ». Elle ne comprend pas bien ce que ça veut dire et ça l’embête car forcément, en qualité de gauchère, ça ne l’arrange pas de moins l’utiliser cette « main du diable ». Alors voilà, elle va faire un amalgame dans sa tête de petite fille et elle va se mettre à voler des objets uniquement avec sa main gauche. Sans trop savoir qu’en faire mais sans doute avec l’idée de les vendre ensuite pour aider aux dépenses du foyer, aider sa maman et sa grande soeur. Sa grand soeur qui se perd dans un travail qui ne lui convient pas, et pour lequel elle donne un peu trop de sa personne…

Le film dit le poids des non dits, des informations cachées. De ces lourdeurs que l’on porte et que l’on se transmet de génération en génération.

Et puis, il dit surtout le pouvoir libérateur de la parole. Un mot qui, enfin, affranchit, débarrasse, décharge… Et cette scène digne de Festen magistralement bien montée.

Sean Baker (qui a signé, entre autres, la Palme d’Or Anora, est crédité comme coscénariste, coproducteur et monteur –, Left-Handed Girl. Une famille à Taïwan est un projet vieux de plus de dix ans nous dit-on, qui fut sans cesse retardé faute de financements. On y retrouve intacte cette pâte néoréaliste et colorée, transvasée des Etats-Unis à Taïwan.

Un joli message, pour un joli conte, pour enfin espérer un avenir plus coloré ?

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