AMHA (A Mon Humble Avis)

L’événement

Posted by Barbara GOVAERTS

Si la scène emblématique du film House of Gucci est selon moi cette scène de sexe qui ouvre sur une scène de mariage, celle de l’Evénement est cette scène de masturbation qui se termine en vomissement la tête dans les toilettes. La réalité mêlée à l’horreur de la situation dans laquelle se trouve cette jeune femme est toute vue.

L’événement – librement adapté du récit autobiographique du même nom, d’Annie Ernaux, publié en 2000, dans lequel l’écrivaine revient sur l’épisode, l’événement justement, qu’elle a vécu à l’âge de 20 ans et qui changea sa vie à jamais. L’avortement clandestin auquel elle a procédé.

Le récit d’Annie Ernaux est sans faux semblant. Affiné jusqu’à l’os. Son écriture dite « blanche, ou neutre » est un vernis dénué de tout pathos, semble t-il de tout sentiment (alors qu’ils sont tous là), qui frotte une vérité que peu parviennent à dire de la sorte.

Le rendu est vénéneux tant il donne vie à une réalité. Et ce sont justement toute une foultitude de sentiments qui nous arrivent en pleine poitrine. C’est bien simple, j’ai été émue, aux larmes, comme je ne l’avais encore jamais été face à l’expérience de la lecture. Le réalisme des scènes vécues, et ce qu’elle donne d’elle, de la jeune femme qu’elle était alors, sont d’une précision et d’une vérité sans nom. Un don de soi pour une cause plus grande. Le partage de son expérience pour donner à réfléchir sur une cause humaine plus grande.

Qui est alors en mesure de coucher cela sur le papier sinon une grande femme ? Immense. Tournée vers le Monde.

L’exercice est colossal tout en étant très resserré. Un vrai exercice de style. D’une puissance inouïe.

Le film – récompensé du Lion d’Or (la plus haute récompense) au Festival de Venise marche dans les pas de cette oeuvre littéraire sans parvenir à atteindre la qualité de l’écrit. Mais le pari était impossible à relever.

Souvent trop marqué, trop démonstratif, il perd en puissance à vouloir trop montrer. Et c’est bien la premiere fois que j’en viens à penser aux limites de l’image. Parfois, il faut savoir ne pas montrer. Ici, les images que se créent notre esprit sont mille fois plus puissantes que certaines des scènes du film.

Et là où le film se perd totalement à mon sens c’est dans l’insère d’une scène de sexe totalement inutile, qui va même à l’encontre du récit originel puisque l’autrice explique justement qu’elle était incapable de tout rapport charnel face à l’épreuve qu’elle vivait.

Il perd également à aller tout droit vers la scène de l’avortement alors que cette scène est englobée dans une « épopée » bien plus grande dans le roman qui ajoute toute la tension au récit (Annie est en avance le jour du rendez-vous, fait un tour et se pose dans un café en attendant l’heure du rendez-vous et le récit qu’elle fait de cette heure là est savamment orchestré : sa vie a déjà changé, elle va basculer à jamais).

Reste l’actrice qui endosse le rôle de cette jeune Anne Duchesne. Elle est épatante et parle autant avec sa bouche qu’avec ses yeux, qu’avec son corps et c’est bien évidemment ce qu’il fallait. Les scènes durant lesquelles elle déambule seule au milieu des éléments sont d’une grande poésie.

Une oeuvre clé. Majeure.

Et un film qui m’aura permis de songer à la puissance de l’image, à son rôle aussi. La caméra est un outil autant politique qu’intime et le rôle de celui qui la tient et qui en dicte les mouvements est clé. Il faut pouvoir acter ce qui doit être montré et ce qui doit être gardé hors champs. L’enjeu est clé. Majeur. Car ce que l’on ne montre pas, ce que l’on ne voit pas avec l’oeil est bientôt plus marquant.

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